23 mai 2023
– 6 minutes de lecture
Hala Lahkim Bennani
Consultante Contract Vendor Management
Le rapport « Stratégies de migration dans le Cloud” a été publié en janvier 2023 par le Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises (CIGREF) ; une association française qui regroupe plus de 150 entreprises, avec en commun, l’usage stratégique des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Il traite des différentes approches à prendre en compte lors de la planification et de l’exécution des migrations cloud, en s’appuyant sur les résultats, observations, recommandations et alertes d’expériences concrètes, en cours ou achevées.
Dans cet article nous allons voir différents sujets :
- Pourquoi et comment aller dans le Cloud ?
- Suivi financier de la migration
- Réorganisation des équipes IT
- Gestion des fournisseurs
Pourquoi et comment aller dans le Cloud ?
Motivations à la migration et freins identifiés
La plupart des membres CIGREF sont engagés dans un processus de migration vers le cloud, a minima par des solutions SaaS, mais son usage se répand de plus en plus vers tous les secteurs d’activités.
Aujourd’hui, les entreprises se lancent dans la migration pour gagner en agilité, réactivité, flexibilité et time-to-market, tout en bénéficiant des évolutions technologiques en continu, le tout avec une couverture mondiale.
Mais une fois la migration engagée, de nouveaux avantages apparaissent ; à savoir l’optimisation des coûts IT, l’inventorisation du SI, l’autonomie des équipes de développement.
Le groupe de travail a aussi relevé une multitude d’obstacles/freins à anticiper et à prendre en considération dans la stratégie de migration :
- Protection juridique et technique des données et actifs ;
- Exposition aux lois extraterritoriales s’il s’agit d’un fournisseur international ;
- Manque de compréhension des enjeux du cloud par les dirigeants ;
- Déséquilibre des relations avec les grands fournisseurs ;
- Gestion de la réversibilité lors de la migration vers un autre fournisseur ;
- Maturité interne de l’organisation vis-à-vis du cloud, en termes de ressources et de compétences.
Périmètre de la migration
Aussi, la migration exige d’effectuer d’importants choix stratégiques, en commençant par le périmètre de la migration : soit des applications, soit des données.
Développement du Cloud hybride
Le cloud hybride est la solution la plus recommandée par les membres, il présente plusieurs avantages :
- Optimise les relations fournisseurs et ouvre de nombreuses possibilités ;
- Facilite l’optimisation des coûts, surtout avec une bonne démarche FinOps ;
- Changement relatif à la perméabilité, les providers fournissent de plus en plus de solutions quasi uniques pour le cloud hybride ;
- Recherche d’équilibre entre Cloud privé et public :
- Certaines entreprises sont soumises à des règlementations spécifiques et doivent avoir un cloud privé ;
- La migration du parc applicatif vers le cloud public est de plus en plus facile ;
- Le développement de toutes les nouvelles applications se fera nativement dans le cloud public sauf contraintes spécifiques.
Il faut prendre en compte l’enjeu des données sensibles et critiques.
Le ratio des données sensibles dans l’ensemble des données est déterminant dans l’appréhension de la migration vers du cloud public. S’il est faible, l’entreprise peut migrer la majorité des actifs IT dans le cloud, et garder la partie données sensibles en interne.
L’étude CIGREF sur le “Besoin cloud de confiance” indique que 15% à 25% des données, en fonction du secteur d’activité, sont suffisamment sensibles pour devoir être protégées des risques de services cloud extra-européens.
En parallèle, on remarque une diminution du besoin cloud privé interne :
- L’évolution technologique du cloud public exige d’utiliser les solutions les plus standards possibles et d’être en capacité de tenir le rythme de toutes les feuilles de route techniques des logiciels et des composants du SI ;
- Pénurie de compétences pointues et rétention des équipes difficile ;
- Investissements considérables liés à l’obsolescence des infrastructures ;
- Enjeux de sécurité numérique à garantir ;
- Exigences environnementales contraignantes sur les équipements.
On se retrouve face à trois différentes hypothèses pour l’avenir du cloud privé :
- Option 1 : maintien d’une plateforme cloud privé dans les infras de l’entreprise, basée sur une plateforme spécialisée.
- Option 2 : disparition du cloud privé interne au profit d’un cloud unique avec une composante “cloud public” et une “cloud privé” consistant à installer dans le domaine privé, une réplique du cloud public via une solution convergée, proposée par les fournisseurs de cloud public (ex: Azure Stack, AWS Outspot…).
- Option 3 : établissement d’un modèle cloud public unique.
Enjeux du multi cloud
Deux acceptations du multi cloud sont admises :
- L’utilisation dans le même SI de plusieurs fournisseurs de cloud ;
- La capacité de changer facilement de fournisseur sur un plan technique, l’aspect contractuel étant le plus souvent le point d’achoppement. Cela nécessite l’interopérabilité des plateformes d’hébergement, et la portabilité des applications d’une plateforme à l’autre.
Les entreprises expriment quand même quelques doutes/réticences à se lancer dans du multi cloud :
- Pour un bon niveau de sécurité, il ne faut pas mettre ses données et ses applications chez un seul fournisseur ;
- Complexité du management ;
- Utiliser plusieurs cloud publics signifie que les prix seront potentiellement moins avantageux chez chacun des fournisseurs.
Modalités de la migration applicative
Une entreprise participante de l’étude distingue 5 grandes étapes pour gérer sa migration applicative :
La migration applicative pose aussi la question du choix de transformation à effectuer sur les applications, à décider pour chaque application. On distingue plusieurs chemins de transformation :
- Reinstall/lift & shift : est l’action de migrer l’application telle quelle.
- Rehost : « lift & shift » mais avec un minimum de remédiation du système d’exploitation et des bases de données de l’application.
- Replateform : permet de remplacer le niveau bas de l’application (passage vers PaaS).
- Redeploy : redéploiement de l’application sur une nouvelle plateforme technique.
- Rearchitect/Refactoring/Rewriting : modifie le code de l’application, avec un passage en Continuous Integration and Continuous Delivery (CICD) par exemple.
- Replace : correspond à la mise en place d’une alternative.
- Repurchasing : correspond aussi à l’achat de nouvelles solutions sur le marché.
- Retain : maintien de l’application avec une consolidation des environnements.
- Retire (Décommissionnement) : permet de se séparer de l’application.
Accenture avait publié en 2021 les niveaux de bénéfices réalisés par les entreprises en fonction du chemin de migration choisi :
Pour autant, à ce jour, seulement 30% des applications développées par les entreprises sont déployées sur le cloud. Seules les applications les plus simples ou les applications cloud natives le sont. Cet échec qui peut s’expliquer par plusieurs raisons, identifiées par Gartner :
- Wrong Team : mauvais choix de partenaire ou manque d’expérience des équipes internes.
- Wrong emphasis : mauvais chemin de transformation sur les applications.
- Rushed Application Assessment : étude insatisfaisante du parc applicatif et de sa cloud readiness (capacité à migrer vers cloud). Pas de prise en compte de la sécurité de la migration, donc augmentation de la surface d’attaque.
- Poor Landing Zone design : mauvaise configuration des environnements dans lesquels les charges de travail sont migrées peut augmenter les coûts de sécurité et de conformité.
- Mistimed Work Effort : mauvaise anticipation du temps nécessaire à la transformation, faute d’échéancier réaliste.
- Hidden Indirect Costs : mise en place du budget sans considérer les coûts indirects (coûts de formations, coûts des centres de données abandonnés…).
A cela, vient s’ajouter les cas des applications en Legacy, qui, dans ⅓ des cas, nécessitent un rapatriement vers les solutions on-premises de départ.
Enfin, les discussions sur la migration dans le cloud ont aussi mis en lumière 4 points clés à prendre en compte :
Suivi financier de la migration
Approche d’Accenture : évitement des coûts
Le cabinet Accenture propose une approche de comparaison financière de deux scénarios futurs :
- L’organisation effectue la migration dans le cloud de son SI,
- Le projet de migration n’est pas choisi et la DSI continue avec les projets et les infrastructures actuelles.
Accenture distingue ainsi 5 grandes familles de dépenses de la DSI, qu’il est nécessaire d’identifier pour avoir la cartographie des gains et coûts engendrés par la migration :
En outre, plusieurs types de coûts de pilotage sont associés à la migration dans le cloud :
- Réalisation du business case ;
- Intégration du FinOps ;
- Conduite du changement ;
- Nouveau catalogue de services ;
- Niveau d’investissement nécessaire des directions métiers ;
- Travail avec les métiers sur la roadmap applicative ;
- Coûts de transformation des équipes et talents (upskilling en continu).
Suivi financier du passage dans le Cloud
Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour la gestion financière des migrations :
Il paraît donc nécessaire d’adopter une démarche “FinOps”, qui permettrait de renouveler les pratiques de gouvernance par les coûts en l’alignant sur les enjeux stratégiques de l’entreprise.
Un des membres du Cigref a défini 3 piliers à cette démarche :
A la clé, les entreprises pourront tirer le maximum de bénéfices du cloud :
- Maîtrise des dépenses d’exploitation OPEX ;
- Rationalisation des achats ;
- Amélioration du contrôle des fournisseurs de services Cloud ;
- Elimination des silos organisationnels ;
- Renforcement des relations de la DSI avec les services financiers et les directions métiers.
Réorganisation des équipes IT
La migration Cloud ne doit pas être considérée comme une stratégie IT, mais comme une stratégie globale d’entreprise.
Il est donc nécessaire de former une équipe cloud aux compétences multiples, qui constitue à la fois le noyau et le moteur de la migration.
Gestion des fournisseurs
Market share des fournisseurs Cloud
En 2022, le cabinet Gartner a publié son estimation de la répartition des parts de marché entre les différents fournisseurs cloud :
Les Hyperscalers
Si l’on considère les trois grands hyperscalers, Amazon Web Services, Google Cloud et Microsoft, il est intéressant de connaître les points forts et spécificités techniques ou non-techniques des fournisseurs.
Difficultés rencontrées et pistes pour réussir
Les entreprises participantes à l’étude ont identifié plusieurs difficultés quant à la gestion de ces fournisseurs cloud :
- La négociation pour obtenir une offre de paiement à l’usage intéressante est plus difficile que pour obtenir des bons prix sur les instances réservées.
- L’absence d’estimation fiable de la consommation réelle du service rend difficile la projection sur le nombre d’instances à réserver.
- Les intégrateurs bâtissent leur expertise grâce aux connaissances acquises dans leurs REX clients, alors que les expériences achevées sont rares, à fortiori en France, puisque les projets sont récents.
D’un autre côté, leur expérience a permis de ressortir des pistes pour optimiser ses relations avec les fournisseurs :
- La coordination avec l’intégrateur est primordiale.
- Veiller à préparer le sprint 0 avec l’intégrateur, le faire à posteriori augmente le risque d’un sprint 0 sous-estimé.
- Un accompagnement par un intégrateur, voire par un cloud provider, permet de progresser dans le domaine de la sécurité.
- Pour une gestion confortable des coûts, le coût de migration cloud présenté par l’intégrateur devrait être doublé, par précaution.
Conclusion
Le sujet cloud reste riche en questions et en perspectives. La capitalisation des connaissances et des retours d’expériences est essentielle, et chaque DSI devrait étudier et analyser ces informations avant de se lancer dans un projet de migration cloud.