16 décembre 2024
Contract & Vendor Management
Jessica HONORINE
Consultante Contract & Vendor Management
Selon le journal Le Monde, les quatre grands acteurs du numérique américain (Amazon, Meta, Google et Microsoft) prévoient d’investir 200 milliards de dollars en 2024 dans de nouvelles infrastructures afin de soutenir le développement de l’intelligence artificielle (IA).
Ce financement vise à répondre à la demande croissante de puissance de calcul et à la nécessité d’augmenter le nombre de datacenters pour faire fonctionner des intelligences artificielles génératives, telles que ChatGPT ou les assistants virtuels. Les systèmes d’intelligence artificielle nécessitent d’immenses quantités de données et des calculs intensifs qui doivent être traités dans des datacenters. Les datacenters, qui fonctionnent 24/7 consomment d’énormes quantités d’énergie et d’eau.
En seulement cinq ans, les émissions de gaz à effet de serre associées au secteur numérique ont augmenté de 48 %. Le numérique, et plus particulièrement l’IA, est responsable de 3 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon le rapport de The Shift Project « Lean ICT : Pour une sobriété numérique ».
En effet, les recherches ont montré que les modèles d’IA nécessitent de plus en plus de puissance de calcul à mesure de leur sophistication, ce qui entraînerait la hausse de besoin énergétique. Il a été démontré que la consommation d’énergie pour entraîner l’IA à un langage naturel peut être supérieure à la consommation d’énergie des systèmes de machines learning.
Cette situation appelle à une action urgente pour minimiser l’impact environnemental de l’IA, notamment par le biais du Contract Management, un levier stratégique pour un numérique plus responsable.
Définir précisément le besoin avant de s’engager sur des outils de l’IA
Avant de se lancer dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, il est essentiel de définir précisément ses besoins. On peut fréquemment observer que les clients expriment un engouement pour ces technologies sans avoir une vision claire de leurs objectifs réels.
Il incombe au contract manager de jouer un rôle clé en incitant le client à clarifier et à remettre en question ses besoins. En accompagnant le client dans cette réflexion, le contract manager peut l’aider à identifier la solution la plus pertinente et à optimiser l’usage des technologies proposées, évitant ainsi la surconsommation inutile de l’intelligence artificielle.
Il peut ainsi guider le client dans ses choix en veillant à ce que les outils sélectionnés répondent réellement aux enjeux et objectifs spécifiques de l’entreprise, tout en maximisant l’efficacité et la rentabilité des projets.
Sélectionner dans la mesure du possible stratégiquement les fournisseurs garantissant l’utilisation de ressources durables
Pour limiter l’impact écologique de l’IA, il est essentiel de sélectionner des fournisseurs qui garantissent une utilisation responsable des ressources énergétiques. Cela peut se faire en intégrant des critères de sélection visant à prioriser les fournisseurs qui utilisent un pourcentage minimum d’énergie renouvelable pour alimenter leurs datacenters et infrastructures IT. En cas d’appel d’offres, il est possible de définir précisément dans le cahier des charges les attendus en termes écologiques et favoriser les fournisseurs qui ont des certifications telles que l’ISO 50 001 et 14 001 sur la performance énergétique et environnementale, ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des entreprises ou qui ont signé le Code of Conduct for Energy Efficiency in Data Centres
Par exemple, on peut sélectionner des fournisseurs qui adoptent des technologies qui répartissent la charge de calcul sur plusieurs datacenters, minimisant ainsi la surconsommation dans un seul centre et réduisant l’empreinte carbone. D’autres fournisseurs peuvent proposer des solutions novatrices. Par exemple, un hébergeur suisse (Infomaniak) récupère la chaleur dégagée par leur datacenter et l’intègre au réseau de chauffage urbain, permettant de chauffer des foyers et fournir de l’eau chaude toute l’année, de jour comme de nuit. Cela en fait un exemple de double usage innovant : le datacenter remplit à la fois ses fonctions de stockage et de calcul de données tout en participant à la production d’énergie thermique pour les habitants locaux.
A noter qu’il peut être intéressant de faire attention au Power Usage of Effectiveness (PUE) et Water Usage of Effectiveness (WUE) qui mesure le rendement d’un datacenter entre l’énergie et l’eau qu’il utilise par rapport aux équipements dont il est pourvu. Même si ce ne sont pas les seuls indicateurs, de bons PUE et WUE garantissent un datacenter qui dispose d’une consommation d’énergie et d’eau optimale.
Pousser à l’amélioration des calculs massifs via les clauses d’amélioration continue
L’un des principaux défis de l’IA réside dans l’optimisation des calculs massifs nécessaires pour le traitement de grandes quantités de données. Ces opérations sont particulièrement énergivores. En introduisant des clauses d’amélioration continue dans les contrats, il est possible de garantir que les fournisseurs s’engagent à optimiser l’efficacité énergétique des algorithmes et des infrastructures utilisées.
Pour cela, on peut prévoir dans une clause une réévaluation régulière de l’efficacité de ses algorithmes et des infrastructures et à mettre en œuvre des technologies durables et plus efficientes.
Entre autres, on peut également encourager l’adoption de technologies qui répartissent la charge de calcul sur plusieurs datacenters, minimisant ainsi la surconsommation dans un seul centre et réduisant l’empreinte carbone.
Enfin, il est possible d’exiger que le fournisseur mette un plan d’optimisation des infrastructures de calcul à chaque cycle contractuel pour garantir que celles-ci restent à la pointe de l’efficacité énergétique.
Garantir l’optimisation des ressources IT
Il est recommandé d’ajouter des audits énergétiques réguliers dans les contrats avec les fournisseurs, permettant de mesurer l’efficacité des serveurs, des centres de données et des algorithmes IA. Ces audits doivent s’appuyer sur des indicateurs de performance précis, tels que la consommation énergétique, la réduction des ressources inactives et la répartition des flux informatiques.
Cela peut se faire en intégrant des accords de niveau de service (SLA) qui incluent des critères de performance énergétique. Une façon innovante serait d’imaginer des SLA de limitation de la consommation d’énergie. Cela nécessite d’accepter des logiciels ou des équipements plus lents. On parlerait alors de “Slow IT”.
Encourager le fournisseur à aller vers l’économie circulaire via des clauses dédiées
Il s’agit de promouvoir l’économie circulaire dans le cycle de vie des équipements technologiques, notamment pour les serveurs en fin de vie.
En effet, l’impact principal des équipements se situant durant la phase de fabrication, il est primordial de prolonger au maximum leur durée de vie. Si le fournisseur ne peut pas utiliser un équipement aussi longtemps qu’il le faudrait, il est de sa responsabilité d’organiser sa deuxième vie.
De plus, les déchets électroniques générés en fin de vie des équipements posent des défis en matière de gestion et de recyclage, souvent aboutissant à une contamination des sols et des nappes phréatiques.
Pour encourager l’économie circulaire, il serait intéressant d’inclure dans les contrats des dispositions concernant le recyclage et la réutilisation des équipements informatiques ainsi que des plans de gestion des déchets électroniques afin de minimiser leur impact environnemental pour le matériel en fin de vie.
En somme, l’impact environnemental de l’intelligence artificielle est bien plus profond qu’il n’y paraît. Au-delà des émissions de gaz à effet de serre, la construction et l’exploitation des datacenters contribuent à la pollution des sols en raison de l’extraction intensive de minerais nécessaires à la fabrication des composants électroniques. L’utilisation massive d’eau pour le refroidissement des serveurs exerce également une pression sur les ressources hydriques locales, pouvant aggraver les problèmes de pénurie d’eau dans certaines régions. Ces enjeux soulignent l’importance d’adopter une approche plus responsable et durable dans le développement de l’IA. Il est essentiel que tous les acteurs impliqués prennent des mesures concrètes pour atténuer ces impacts, en intégrant des pratiques d’économie circulaire et en favorisant des technologies moins gourmandes en ressources. Seule une prise de conscience collective permettra de concilier innovation technologique et préservation de notre environnement.
The Shift Project – Rapport Lean ICT : Pour une sobriété numérique
ISO 50001:2018 (Norme sur les systèmes de management de l’énergie)