4 mai 2021
– 7 min de lecture
Jérôme Lesage
Manager Organisation Apprenante & Leadership Agile
La science au service de notre cerveau
À travers cet article, je vous invite à une introduction au vaste monde des neurosciences et à la compréhension des mécanismes d’apprentissage de notre cerveau. Ces mécanismes sont d’autant plus complexes, qu’outre la compréhension de l’apprentissage et de l’attention, la mémorisation, les émotions et la motivation sont, parmi d’autres, des facteurs prédominants à prendre en compte dans l’apprentissage de nouvelles informations.
Quand on évoque le cerveau, beaucoup de mythes et de croyances accumulés au fil des temps ressurgissent.
Parmi les plus connus :
- Nous n’utilisons que 10% de notre cerveau.
C’est faux, grâce aux progrès dans l’imagerie médicale, on sait maintenant que nous utilisons la totalité des ressources de notre cerveau. - Nous ne pouvons plus apprendre à partir d’un certain âge.
C’est également faux, Le cerveau crée des neurones tout au long de notre vie et l’homme est neurologiquement programmé pour apprendre toute sa vie. L’apprentissage sera juste plus long et moins facile du fait de la plasticité des neurones (ou autrement dit la capacité de notre cerveau à se remodeler) qui est plus intense dans la petite enfance. - Nous avons un unique cerveau.
Ce n’est pas totalement vrai. L’être humain n’a pas un, ni deux, mais bien trois cerveaux :- Un cerveau dans notre tête (100 milliards de neurones) ;
- Un cerveau dans notre cœur (40.000 neurones) pour réguler celui-ci ;
- Un cerveau dans notre ventre dit cerveau viscéral (200 millions de neurones) pour contrôler le système digestif.
Note : si on s’en tient à la définition officielle de ce qu’est un cerveau, nous avons bien un seul cerveau. Il n’y a pas à proprement parler de cerveau au niveau du ventre ou du cœur. Il s’agit de systèmes nerveux autonomes directement reliés à notre cerveau et capables de produire des hormones et des neurotransmetteurs, tels que la dopamine ou la sérotonine. Ils sont également le siège de certaines de nos émotions, d’où les expressions « avoir le cœur serré » ou avoir la « peur au ventre ».
- Écouter Mozart enfant rend plus intelligent.
C’est toujours faux, Ce mythe est apparu dans les années 70 suite à une étude ayant aboutie à des résultats erronés. Même si la musique adoucit les mœurs, écouter Mozart ne rend malheureusement pas plus intelligent.
Ce n’est qu’un échantillon des nombreuses croyances que l’on peut trouver facilement sur internet. Nombreux de ces mythes ont été cassés par l’essor des neurosciences (science du cerveau) qui a pour objectif de mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau.
Les neurosciences n’ont pas seulement permis la déconstruction de mythes, mais nous éclairent sur le fonctionnement de notre cerveau et permettent la mise en lumière des mécanismes d’apprentissage et d’en tirer des leçons pédagogiques.
Ces études révèlent que le cerveau est doté d’un immense appétit d’apprentissage mais que ses capacités d’assimilation sont limitées et vite dépassées.
Lors d’un nouvel apprentissage, l’avant du cerveau, cortex préfrontal qui commande les opérations, se mobilise fortement. L’attention d’un débutant est fortement sollicitée par sa mémoire de travail et elle diminue très vite.
Au fil des répétitions, l’apprentissage va s’automatiser et demander de moins en moins d’énergie. L’activité neuronale se déplace progressivement de l’avant vers l’arrière du cerveau où se situe les automatismes. Le cerveau exécutif ainsi libéré devient disponible pour un nouvel apprentissage.
Cette capacité d’apprentissage est donc limitée :
- Par notre énergie dépensée à se concentrer sur un nouveau sujet.
- Par le temps d’apprentissage nécessaire pour basculer l’activité neuronale de l’avant à l’arrière de notre cerveau. Autrement dit, rendre ce nouvel apprentissage un automatisme que le cerveau va pouvoir gérer en tâche de fond.
Un bon exemple, que j’ai repris de l’ouvrage Neuro Learning, est celui de l’apprentissage de la conduite. Lors des premières leçons, l’élève a besoin de beaucoup de concentration pour se focaliser sur la route tout en apprenant à manipuler les commandes. Au fur et à mesure des heures accumulées, des automatismes se créent. L’attention se porte principalement sur la route et la gestion des commandes se fait de manière instinctive, sans besoin d’y réfléchir. Cela marque le passage de l’utilisation principale de l’avant du cerveau vers l’arrière, siège de l’automatisme, qui caractérise le stade de l’expert.
Pour aller plus loin dans la compréhension des modes d’apprentissage, vous pouvez vous tourner vers les travaux de Barbara Oakley, célèbre professeure américaine d’ingénierie à l’Université d’Oakland et à l’Université McMaster, dont les cours en ligne sur l’apprentissage font partie des cours de MOOC les plus populaires au monde.
Il est donc important de bien comprendre les mécanismes d’apprentissage de notre cerveau pour en optimiser la quantité d’information retenue et sa durée dans le temps.
Voici 8 astuces pour aider votre cerveau :
1. Esprit sain dans un corps sain
Notre capacité d’apprentissage est directement liée à notre condition physique. L’apprentissage de nouvelles connaissances demande de la concentration et donc de l’énergie pour maintenir cette concentration au maximum dans le temps. Il est donc primordial d’avoir une bonne hygiène de vie.
Garder une bonne condition physique, se reposer en respectant ses rythmes de sommeil, avoir une alimentation saine et équilibrée sont autant de facteurs qui faciliteront l’apprentissage. Bougez, sortez, faites du sport, ces activités vous permettront d’avoir un corps énergique et en bonne santé.
Astuce : pourquoi ne pas utiliser le temps gagné dans les transports grâce au télétravail pour rechausser vos baskets ou ressortir votre tablier de cuisinier ?
2. Se mettre en condition pour apprendre
Lors d’une phase d’apprentissage, le cerveau n’est pas capable de se concentrer sur plusieurs choses à la fois. Il ne fait que d’aller et venir entre les différentes tâches à accomplir ce qui demande une grande source d’énergie. Pour maximiser un apprentissage, il est primordial de se mettre dans de bonnes conditions :
- S’assurer de ne pas être dérangé
- Avoir un espace dédié au travail
- Éviter les distractions (télévision, réseaux sociaux, emails, …)
Astuces :
- Ne pas hésiter à s’isoler dans une salle de réunion pour travailler sur un sujet. Pourquoi ne pas vous aménager un espace bureau au lieu de vous répandre sur la table du salon ?
- Quitte à regarder les réseaux sociaux, prenez un moment dédié à cette activité et assouvissez ce besoin. Cela aura pour effet de libérer votre esprit et de focaliser votre attention sur la prochaine tâche à accomplir.
- Désactiver les notifications sur votre ordinateur et/ou de votre smartphone.
3. Alléger votre cerveau
- Organisez votre temps et votre journée vous permettra d’alléger votre charge mentale.
- Commencez celle-ci en listant les tâches par ordre de priorité en commençant par les tâches les plus pénibles. Votre énergie étant plus importante en début de journée, vous optimiserez ainsi votre capacité à traiter un plus grand nombre de sujets avec une meilleure efficacité.
- Deuxième effet positif, commencez par les tâches difficiles pour terminer par les tâches plus faciles permettra de maintenir votre enthousiasme tout au long de la journée.
Astuce : Gardez du temps pour faire des pauses et gérer l’imprévu, et restez réaliste sur les tâches à accomplir pour ne pas être démoralisé en fin de journée en voyant la longue liste de tâches remise au lendemain.
4. Être attentif à vos humeurs
Émotions et motivations sont étroitement liées. Un certain niveau de stress favorise la performance mais les effets s’inversent au-delà d’un seuil et l’impact devient néfaste. Les émotions négatives nous font focaliser sur les détails, diminue notre capacité d’exploration et inhibe partiellement, voir totalement, notre capacité de raisonnement.
En cas de menace, l’information va directement déclencher la réaction automatique de stress (fuite, attaque, ou sidération). Ce phénomène inhibe le système exécutif et est toujours prioritaire puisqu’il assure notre survie. Mais il a pour effet de rendre l’information inaccessible au raisonnement et donc à l’apprentissage.
À l’inverse, les émotions positives ont pour effet l’élargissement de la pensée et du comportement, favorisant la curiosité, l’apprentissage et la créativité.
Il est donc impératif de réguler ses émotions en limitant l’induction d’émotions négatives et en favorisant les émotions positives.
Astuces :
- Prêter une attention particulière à votre cadre de vie. Un manque de sommeil répété, l’exposition à un fort stress ou à une source de stress de façon prolongée va avoir un impact sur votre humeur et donc votre apprentissage.
- Accueillir l’erreur. La peur de se tromper bloque souvent l’apprentissage car vécu comme un échec. Souvenez-vous que le cerveau apprend par essai-erreur. En d’autres mots, essayer, se tromper et corriger son erreur de manière répété est la meilleure façon d’apprendre.
- Accepter de ne pas comprendre. Rencontrer des difficultés est totalement normal et fait partie du processus d’apprentissage. De plus, les mécanismes que vous allez mettre en place pour surmonter votre incompréhension permettront un meilleur apprentissage in fine.
5. Adapter votre rythme de travail aux capacités de votre cerveau
Votre cerveau a besoin d’énergie mais également de temps pour apprendre. Il est important de prendre un rythme d’apprentissage en adéquation avec votre cerveau.
Les neurosciences nous apprennent que la clef est dans la répétition.
La loi de Hebb a démontré que pour chaque nouvelle tâche apprise, une nouvelle trace (réseau de neurones connectés) est créée dans notre cerveau. Cette nouvelle trace est fragile et demande à être rapidement réactivée pour avoir une chance d’être conservée. Il est donc primordial de revenir fréquemment sur des notions apprises pour les ancrer dans notre cerveau.
Astuce : Ancrer les concepts en les retravaillant de manière régulière. Vous pouvez par exemple suivre un schéma de répétition par espacement croissant :
- Immédiatement après l’apprentissage
- Dans les 24h
- Deux ou trois jours d’affilés
- Une semaine après
- Un mois après
- Six mois après
- Etc …
6. Chercher le fameux Eureka
Qui n’a jamais eu ce moment de grâce en trouvant la solution à un problème sous la douche ou lors de sa séance de sport.
Lorsque l’on est confronté à un problème, nous restons souvent focalisés sur celui-ci sans prendre le temps de lever la tête. Or, cette pratique n’est pas le moins du monde efficace car elle ne laisse pas le temps au cerveau de travailler sur le problème.
Lorsque l’on prend une pause et que l’on arrête de se pencher sur la résolution d’un problème, notre cerveau reste actif et continue d’analyser la problématique en tâche de fond. C’est un processus non conscient. Il va chercher à relier le problème à des évènements déjà vécus et faire des associations auxquels nous n’aurions pas encore réfléchi.
Astuce : Lorsque vous bloquez sur un problème depuis plus d’1h, sortez faire un tour ou penchez-vous sur une tâche que vous aimez réaliser et dont vous avez l’habitude. Cette tâche sera facile à réaliser par votre cerveau et celui-ci pourra continuer à travailler sur votre problématique sans que vous en eussiez l’impression.
7. Réaliser du fractionné plutôt que de traiter en bloc
Aussi nommé « interleaving », il a été démontré que passer à un autre sujet et revenir un peu plus tard au premier consolide la mémoire à long terme. Même si cela peut perturber la mémorisation à court terme, le fait de découper un sujet laisse du temps au cerveau pour travailler de manière non consciente entre deux apprentissages et donc de créer des liens pour en favoriser l’ancrage.
Le fait de revenir sur le sujet permettra également le besoin de répétition déjà évoqué.
Astuce :
- Pourquoi ne pas arrêter de lire d’une traite votre dernier livre sur un sujet technique mais plutôt de lire en parallèle deux bouquins ce qui permettra de fractionner votre apprentissage.
- Et si vous adoptiez la méthode Pomodoro en alternant périodes d’apprentissage et temps de pauses pour à la fois alterner les sujets et prendre le temps de mieux assimiler.
8. Retenir de l’information n’est pas suffisant pour s’en souvenir
Il nous est tous arrivé de ne pas se souvenir du nom d’un chanteur et de retrouver son nom en entendant sa voix ou le début de son prénom.
Pour restituer une information, il faut bien évidemment l’avoir assimilée mais également être capable de la retrouver. On peut ainsi comparer notre mémoire à une bibliothèque. Si celle-ci n’est pas structurée, il nous sera très compliqué de retrouver un ouvrage précis. C’est pour cela que nous avons besoin de structurer les informations pour mieux les retrouver par la suite.
Astuce : Lors de l’apprentissage d’une nouvelle information, attachez-vous à :
- La remettre dans son contexte pour lui donner du sens
- Solliciter une multitude d’associations mentales
- Rechercher une métaphore ou une analogie
- La relier à des notions déjà solidement intégrées
Cet article n’est qu’un très bref aperçu de ce que nous apporte les Neurosciences. Si celui-ci vous a plu et que vous voulez en savoir plus sur notre cerveau et les modes d’apprentissages, je vous conseille le livre Neuro Learning, principale source de cet article, qui vous permettra d’approfondir les concepts cités dans cet article, et de vous plonger dans les travaux de Barbara Oakley en commençant par la vidéo de son TEDx Learning how to learn qui je l’espère vous permettra de mieux apprendre à apprendre.
Sources :