6 novembre 2023
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Karl Berard
Consultant Pilotage Projets & Produits
Dans les pays anglo-saxons, les certifications professionnelles sont très prisées. Qu’en est-il de ces formations certifiantes dans le domaine de la gestion de projet en France ?
Nous observons que ce marché s’est fortement développé ces dix dernières années. Dans les faits, les éditeurs profitent en France d’une demande soutenue pour ces formations subventionnées (avec les CPF et fonds des OPCA). Ainsi, les éditeurs des certifications et les centres de formation partenaires y ont trouvé une opportunité de croissance facile de leurs activités. Un récent inventaire auprès de 6 éditeurs majeurs (GPM, IPMA, PMI, APM, AACEI, APMG) révèle que près de 80 certifications sont possibles rien qu’en gestion de projet.
Force est de constater qu’un phénomène de dérive commerciale des formations professionnelles s’est installé et nous rapproche du modèle Anglo-Saxon. Que l’on soit consultant ou futur collaborateur en cours de recrutement, il devient indispensable d’afficher des certificats et autres badges pour que son profil soit remarqué ou du moins digne de confiance. Cette dérive en est presque à un stade viral. Plus les consultants et recrues veulent se démarquer, plus ils en demandent ; et plus les clients et employeurs en voient passer et en découvrent de nouveaux, plus ils s’y attachent.
A cet effet purement commercial, d’autres effets s’ajoutent. Le foisonnement des formations certifiantes, basées sur des modèles et cadres de pratiques, touche aussi aux dimensions marketing, cognitive, et reconnaissance des actions de formation professionnelle.
- Dimension marketing : Les éditeurs essentiellement à l’international ne se sont pas arrêtés à la promotion d’une offre large de certificats, vecteur de différenciation et de visibilité sur les réseaux professionnels. C’est ainsi que des majors comme ISO, PMI, Axelos, IPMA, APM, Isaca, Open Group, ISC2, et autres éditeurs logiciels font œuvre de créativité, en proposant leur système de fidélisation le plus « addictif ». Comme la validité des certifications est limitée dans le temps, les nouvelles qualifications acquises doivent être maintenues. C’est pour cela que les éditeurs proposent des renouvellements par adhésion annuelle et l’acquisition de PDU* pour certains. Or ces actualisations ne démontrent que le maintien des connaissances. Elles ne proposent rien concernant leur mise en pratique effective.
Plus récemment, vous l’avez peut-être constaté, la nouvelle tendance est aux micro-certifications (micro-credentials). Les éditeurs, sous couvert d’apporter plus de flexibilité aux parcours de formation professionnelle continue, suggèrent de fractionner les programmes longs de formation en développement de compétences. Cela apporte des conséquences : détourner l’effort d’investir le temps nécessaire à l’acquisition d’un corpus complet ou au contraire de pousser à de la consommation compulsive de micro-certifications. C’est un autre travers observé à l’étranger, certains se laissant emporter à cumuler les certifications comme une liste à la Prévert. A se demander quand ces candidats trouvent le temps de les appliquer dans leur travail. C’est un point qui questionne l’intérêt pédagogique de cette forme d’actions de formation au regard des arguments marketing utilisés.
- Dimension cognitive : Pour nous Français, le principe de certification des éditeurs anglo-saxon, nous amène toujours à devoir nous focaliser sur la compréhension de l’anglais avant celle des contenus. Même si les formations sont faites en français, l’évaluation par QCM se termine toujours en une séance de bachotage pour réussir l’examen qui accorde la certification. Cet autre point, questionne la réalité de l’acquisition des connaissances (Fondation) et dans une moindre mesure de la capacité à leur mise en pratique (Practionner).
- Dimension reconnaissance : Bien souvent, la mise en scène des modalités d’examens est sécurisée par le recours à des organismes tiers de confiance comme CERTyou. Les éditeurs les plus en vue ne laissent aucune place à la fraude, même depuis chez soi. C’est l’argument de crédibilité qu’ils mettent en avant pour nourrir la relation de confiance entre un consultant et son client ou un candidat et son recruteur. Mais en France, contrairement à l’international, nous sélectionnons essentiellement les profils d’après les diplômes issus de la formation initiale. Dans le cadre de la formation continue, les certifications professionnelles restent peu voire non reconnues selon les secteurs d’activités. Est-ce par méconnaissance de ce qu’elles représentent et de ce qu’elles démontrent ou parce que le marché français est critique vis-à-vis des deux biais précédents ?
Aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent parmi les personnalités reconnues dans le monde de la Gestion de projet pour dire que le modèle actuel n’est pas adapté. Trop de temps de formation en classe axée sur l’acquisition de connaissances avec des examens qui se concentrent sur les informations apprises et pas assez de temps d’apprentissage en situation de travail. Cela questionne la nécessité de formations étalées dans le temps pour apprendre à résoudre les problèmes lorsqu’ils surviennent. C’est ce que l’on observe presque exclusivement en formation sur les approches Agile.
En conclusion, il ne faut donc pas se laisser aveugler par le discours des éditeurs et des centres de formation. Il importe que chacun interroge son projet, challenge ce que l’on attend de l’obtention d’une certification et/ou d’une micro-certification avant de se lancer. Est-ce seulement acquérir un nouveau corpus de connaissance ou faire la démonstration d’une expérience déjà visible sur son CV ? Autrement, il existe d’autres formes plus économiques, modulables et appliquées comme les MOOC ou encore des conférences en ligne. Même si l’investissement temps est plus élevé. La question reste alors de savoir comment sont reconnues les attestations délivrées par les producteurs de ces formations.
*PDU : Professional Development Units. Un PDU est une unité de mesure utilisée pour quantifier les activités de formation et de service professionnel approuvées et correspondent à des blocs temporels d’une heure consacrés à l’apprentissage, à l’enseignement ou au volontariat.