25 septembre 2023
Thomas Jardinet
Manager Architecture
La question peut paraître saugrenue, car nous sommes habitués à dire que ce sont les chinois qui nous copient, et qu’en termes de libertés individuelles la Chine n’est pas nécessairement un modèle souhaité en France. Néanmoins, la Chine pense sur le temps long, avec une accumulation de plans quinquennaux qui au final peuvent s’étaler sur plus de 10 ans. Et le sujet de leur souveraineté numérique au sens large en fait clairement partie.
Pour revenir au sujet du cloud souverain, il est clairement d’actualité, avec l’amendement du député Philippe Latombe qui a été accepté, obligeant les opérateurs d’importance vitale pour la France à utiliser du cloud souverain plutôt que non souverain.
Mais avant de se comparer à la Chine, revenons aux basiques en retournant à l’étymologie du mot « souveraineté ».
La souveraineté, une proposition de définition.
Étymologiquement, et dans son sens premier, est souverain celui qui est au-dessus, qui est d’une autorité suprême.
Cela s’applique ainsi logiquement à un État, qui lui-même est chargé de défendre les intérêts français, que l’on parle de citoyens mais aussi d’entreprises. Citoyens, qui expriment leur souveraineté populaire (au sens rousseauiste du terme) dans le cadre d’élections.
Mais appliquons cela à ce qu’on entend alors par “cloud souverain”.
Ainsi, en déclinant cette idée de souveraineté au cloud, dont les clients potentiels sont l’état, les entreprises, les individus, il s’agit de placer l’état en garant des intérêts des citoyens et des entreprises, qui se mettent sous la coupe des lois françaises, lois assumés par tous par le mécanisme de souveraineté populaire.
Le cloud souverain, une proposition de liste de principes.
Dis comme ça, cela reste flou. Alors soyons plus pratico-pratiques :
- Ni l’état, ni les entreprises, ni les citoyens ne souhaitent se faire espionner par une force étrangère, ou par des intérêts privés. Bonjour Edward Snowden.
- Tout le monde souhaite que ses données privées, le restent. Bonjour les GAFAM. Bonjour Edward Snowden.
- L’état, les citoyens, les entreprises souhaitent que les comportements délictueux exercés en France soient jugés en France. Bonjour les GAFAM. Bonjour Edward Snowden. Bonjour l’état de droit.
- L’état, les citoyens, les entreprises souhaitent pouvoir avoir un accès sans soucis à un cloud sécurisé. Bonjour la liberté.
Une réalité éloignée de ces principes
Or, un certain nombre de points ne correspondent pas avec les acteurs étrangers.
- Espionnage : Le Patriot act et le FISA, sont très clairs à ce sujet. Si votre clouder est américain, le piratage est légal et assumé. J’omets le Cloud Act, qui à mes yeux relève du « blanchiment » juridique.
- Confidentialité : De même, les données considérées comme “privées” peuvent ainsi être récupérées. Sans compter les cookies traceurs et https://www.lebigdata.fr/donnees-anonymes-cnil-data-brokers). Et si vous ajoutez le fait que les protocoles “Internet” qui n’ont pas été créés comme sécurisés. Des palliatifs existent comme par exemple pour le protocole DNS (Protocoles DOH et DOT, DnsCrypt). Néanmoins, l’utilisation de HTTPS ne vous cache pas. Si vous allez sur https://siteinavouable.com, l’information que vous vous y connecter passe en clair, lors du handshake SSL. Il faudrait pour éviter cela que l’extension TLS d’”Encrypted Client Hello” soit généralisée.
- Souveraineté aux yeux de la loi : L’extra territorialité des lois américaines n’est plus à prouver. Demandez à Frédéric Pierucci son avis.
- Sécurisation : Et si nous passons tous par des routeurs fabriqués par des entreprises américaines, avec des ordinateurs utilisant des processeurs américains, avec un bios contenant des binaires américains pour les craintes, et pour un premier aperçu des possibilités, et le tout sur un système d’exploitation américain, la probabilité que des failles et autres backdoors “connues” seulement des américains existent n’est pas nulle. Et passons sur le simple fait que le trafic internet de votre tante vivant à Nice, se connectant à un site web hébergé à Strasbourg, ne va pas nécessairement longer les frontières françaises tel le nuage de Tchernobyl, laissant ainsi des « portes » d’écoute.
Alors quelle est la réponse de la Chine face à ces enjeux?
- Espionnage : Mise en place d’un Great Firewall, perfectible par rapport à ses objectifs mais qui ne facilite pas le travail d’un espion étranger. Ecosystème “Chinese Only”, où aucune société américaine n’opère directement en chine (Voir Salesforce, Azure, Aws), mais par des intermédiaires 100% chinois.
- Confidentialité : Pas le soucis majeur des chinois. Vous n’avez rien à cacher à l’état chinois, pas même vos secrets intimes.
- Souveraineté aux yeux de la loi : Le fait de devoir passer par un intermédiaire chinois bloque les lois extra-territoriales américaines. Par exemple la société chinoise 21Vianet achète les “logiciels Azure” de Microsoft, pour après revendre de l’Azure en chine. Et comme dans la pratique l’état chinois a accès à tous les serveurs, c’est tout de suite plus pratique pour faire appliquer des lois, et un “REX” extra-territorial sur TikTok : REX que votre serviteur avait précédemment pressenti.
- Sécurisation : Le great firewall aide, transforme l’Internet Chinois en un quasi Intranet, mais n’est pas le seul vecteur de sécurisation. Comme énuméré précédemment, les vecteurs d’attaques sont :
- Les équipements réseaux : Huawei est un leader
- Les processeurs :
- Processeurs x86 et Mips avec Loongson,
- X86 avec Zhaoxin,
- Anciennement Processeurs Intel & AMD customs avec fonctions de sécurité made in china,
- Arm avec Huawei et Rockchip,
- Participations aux Platform Open source OpenPower et RISC-V,
- Supercalculateur Risc avec Sunway
- Système d’exploitation : Diverses distributions linux chinoises, existence d’un linux fait par alibaba cloud
- Serveur : Lenovo qu’on ne présente plus. De toute manière les fabricants étrangers ne sont pas les bienvenus.
Une utopie réaliste
Par rapport à cette liste à la Prévert, je n’invite pas à restreindre les libertés publiques mais à avoir une politique numérique très ambitieuse. Impossible n’est pas français comme je l’entendais dire dans ma jeunesse, et oui, un autre modèle est imaginable :
- Espionnage : Renforcement très fort de l’ANSSI, pour aider encore plus les entreprises à se sécuriser, mais aussi pour sensibiliser. Promotion voir obligation d’utilisation de protocoles et de systèmes sécurisés, Travaux de recherche pour une sécurisation pour tous. Sécurisation des réseaux, y compris télécom afin d’éviter d’être géo-localisable par n’importe quelle agence étatique
- Confidentialité : Interdiction des cookies traceurs. Généralisation des protocoles sécurisés. Amendes plus fortes et prisons en cas de négligence de confidentialité, voir de sécurité
- Souveraineté aux yeux de la loi : Promotion du SecNumCloud et challenge perpétuelle de sa définition (ce qui est déjà le cas au vu des versions). Aides aux entreprises souhaitant passer la certification. Obligation pour l’état et les organismes d’importance vitales de passer par des clouders de droit et d’actionnariat français (bonjour les OIV)
- Sécurisation :
- Réseau : Promotion des acteurs français comme Stormshield, certifications de sécurité pour les acteurs qui communiquent leurs codes sources qui seront audités
- Processeurs :
- Fabrication dans un premier temps de processeurs sous license ARM (contenant quand même des brevets américains https://www.phonandroid.com/huawei-annonce-son-independance-aux-technologies-americaines-pour-2021.html) par une entreprise de droit français ou européen (ST MicroElectronics)
- Travaux de recherche sur les plateformes Open Source RISC-V et Open Power et fonds d’investissement pour des startups
- Système d’exploitation : Promotion et investissement sur la distribution linux française CLIP-OS, développé par l’ANSSI
- Serveur : En soit un serveur consiste en une simple intégration de composants, qu’OVH fait lui même. Concernant le bios, avec un processeur français le problème sera directement résolu. Enfin concevoir des cartes mères n’est pas la chose la plus complexe (Si un ingénieur est capable d’en concevoir en solo…
Plus qu’un cloud souverain, un Internet de la confiance
Comme on peut le voir, je prends le contre pied de la Chine sur la vie privée et la confidentialité, et je cherche à démontrer que l’effort technologique n’est pas un mur infranchissable.
L’effort pour les DSI, RSSI, architectes, consiste à sensibiliser, mais aussi à promouvoir l’usage de solutions et de clouders certifiés secNumCloud, qui soient bien de droit français. La liste est régulièrement mise à jour.
Et oui, il faut « franciser » son SI. Et/où l' »open-sourcer ».
Sur le sujet de la sécurisation pour tous, être contre c’est être pour que n’importe qui dans la vie réelle puisse écouter ce que vous dites. On me rétorquera que la collecte d’adresse IP est nécessaire pour la lutte contre le harcèlement en ligne par exemple… Alors renforçons les pouvoirs et les moyens de la CNIL. Exigeons de nouvelles certifications plus sévères et plus contraignantes. Ce sujet de collecte d’ip pour des crimes graves (https://twitter.com/laquadrature/status/1658012087447085056) peut être la limite acceptable et contrôlable de notre vie privée et de notre sécurité. Car être contre notre sécurité et notre vie privée c’est être contre la protection de nos intérêts vitaux et économiques (https://twitter.com/amnestyfrance/status/1658449051296186369). La liberté individuelle et la liberté d’entreprendre sont ici parfaitement compatibles, elles vont même de pair. Croire l’inverse, c’est laisser la porte ouverte à tous vents, aux inconnus, aux belligérants. Et nous devons tous comprendre qu’il en va de l’intérêt général.